L’auteur Nicolas Barral a attendu la cinquantaine pour publier un album en solo. Son air de fado mélange talent, mélancolie et maturité.
Le docteur lisboète Fernando Pais semble avoir la vie légère, voire insouciante en ce bel été 68: les clients sont aisés, les femmes faciles et l’existence souriante pour ce quarantenaire bedonnant. On en oublierait presque que le dictateur Salazar règne ici depuis plus de 30 ans, avec tout ce que la dictature induit comme oripeaux. Fernando lui-même tente de l’oublier, lui qui se tient précautionneusement à l’écart de la politique depuis dix ans, et de tourner le dos à son passé de militant et d’homme marié. Définitivement? Le petit Joao qu’il défend presque par réflexe devant le siège de la police politique face à trois agents retors sera, sans qu’il s’en aperçoive, le premier petit caillou dans la chaussure de son renoncement. Et le début d’une aventure sentimentale et politique dont les contours ne se limitent pas au Portugal de l’époque, et lourde de questions qui pourraient hélas redevenir actuelles, dont celle-ci, au centre de Sur un air de fado: que sont les engagements devenus?
« Et moi, qu’est-ce que je ferais? »
On ne s’étonne pas lorsque Nicolas Barral explique que cette idée d’écrire sur le Portugal, lui qui n’est pas portugais, lui est venue de la nationalité de son épouse et de la lecture du classique Pereira prétend de Tabucchi, avec un personnage falot et bien moins sympathique que son Fernando Pais, mais déjà petit-bourgeois indifférent en apparence au sort des victimes de Salazar. « Et moi, me suis-je demandé, quelle serait mon attitude si mon pays connaissait la dictature? Si demain le Front national gagne en France, qu’est-ce que je fais? Et d’un autre coté, ceux qui ne se rebellent pas sont-ils forcément méprisables? » Ces questions et ces réflexions, il a mis une quinzaine d’années à les coucher sur papier, pour donner enfin corps à son premier album solo, lui qui a dessiné tant de scénarios des autres (Pierre Veys sur les parodies Baker Street ou Les Aventures de Philip et Francis, Tonino Benacquista avec Dieu n’a pas réponse à tout ou Léo Malet sur sa reprise des Nestor Burma) et a même scénarisé pour d’autres dessinateurs (Mon pépé est un fantôme, avec TaDuc). « Ici, j’adopte ma propre foulée, je fends un peu l’armure. Et puis avec l’âge, je suis devenu moins manichéen, je sais que tout est nuance de gris. C’est ce qu’il fallait pour un tel récit. » On ne peut que plussoir: son graphisme, d’un réalisme à la fois expressif et gracieux, se marie parfaitement à cet air de fado. Une petite musique qui mêle, comme le savent les mélomanes, profondeur et légèreté.
Sur un air de fado
de Nicolas Barral, éditions Dargaud, 160 pages. ****
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